La pénitence des innocents

« Il était là, debout, au milieu de cette foule silencieuse, suspendue à ses lèvres, attendant les salves de ses mots comme des chiens affamés patientant qu’on leur jette leur pitance. Seule la lumière des flammes léchait sa maigre silhouette dévoilant des joues creuses et un front ridé. Il ne disait pas un mot scrutant tour à tour les spectateurs qui se terraient peu à peu dans un murmure jusqu’à ne plus entendre que la stridulation des criquets. Il avait le nez fin et le regard souriant et séducteur comme les tontons d’antan qui portaient un chapeau Panama à quarante-cinq degrés du haut de leur tête. On ne connaissait pas vraiment les raisons qui poussaient Ti Matin à boire comme un trou. Mais on pouvait deviner derrière ses cheveux crépus et grisonnants qu’il avait dû expérimenter mille vies. L’alcool était peut-être pour lui un moyen de jeter un voile sur son passé et désinfecter les plaies de son âme qui, sans doute, ne cicatriseront jamais. Lorsque l’attention de l’auditoire fut à son apogée, Ti Matin racla sa gorge et commença ainsi. »